La puissance des contraires: réunir les opposés pour réussir
Vaut-il mieux planifier à long terme ou agir à court terme? L’innovation exclut-elle la tradition? Les preuves scientifiques et l’expérience sont-elles compatibles? Les Journées des entraîneurs qui se sont tenues l’automne dernier à Macolin ont examiné ces dilemmes auxquels font face les entraîneur-e-s. Conclusion: la réussite ne réside pas dans une extrême ou dans l’autre. Pour avoir durablement du succès, il faut au contraire conjuguer habilement ces options qui, de prime abord, paraissent contradictoires.
Auteur: Philipp Schütz, responsable de la formation et de la formation continue au niveau Sport de performance
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Les entraîneur-e-s sont constamment confrontés à de nouvelles questions et à de nouveaux défis. Mais pour y répondre, ils ont souvent le choix entre des options contraires qui deviennent des dilemmes. Trois de ces champs de tension ont été discutés lors des Journées des entraîneurs 2024.
Le succès par l’équilibre: innovation et tradition vont de pair
Entrepreneur dans l’âme, inventeur professionnel et optimiste visionnaire: ainsi se décrit Mars Aeschlimann, président du conseil d’administration de la fabrique d’innovation Creaholic, et qui fut l’un des orateurs principaux des Journées des entraîneurs 2024. Dans son exposé, il s’est penché sur le champ de tension entre innovation et tradition et il a montré comment les combiner pour obtenir les meilleurs résultats. Miser aussi bien sur l’une que sur l’autre au quotidien crée des effets de synergie et permet d’ancrer les pratiques novatrices sur des bases solides et fiables.
Le rôle de la tradition dans le processus d’innovation
Mars Aeschlimann souligne l’importance de la tradition, autrement dit des méthodes qui marchent et des valeurs qui ont fait leurs preuves. Celles-ci donnent de la stabilité et des repères dans un environnement en perpétuelle mutation. L’entrepreneur insiste: une tradition profondément enracinée n’est pas toujours un frein à l’innovation, elle peut être un socle qui offre la sécurité nécessaire pour tester et mettre en œuvre de nouvelles idées.
Le paradoxe de l’innovation
Mars Aeschlimann parle du «paradoxe de l’innovation», reconnaissant combien il peut être difficile d’innover quand c’est précisément ce que l’on désire. En effet, même quand le besoin de progrès est là, l’implémentation d’une innovation peut se révéler, au début, coûteuse, chronophage et risquée. De nombreuses idées sont donc enterrées d’office avant même d’avoir pu prendre forme. C’est pourquoi Mars Aeschlimann souligne que la résilience et la capacité à apprendre des échecs et à transformer les obstacles en opportunités sont essentielles pour mener à bien des innovations.
Selon Mars Aeschlimann, savoir innover, c’est:
- Savoir que l’on ne sait rien: être ouvert-e à l’apprentissage permanent est crucial. Le savoir progresse constamment et se reposer sur ce que l’on sait déjà peut vite nous rendre suffisants.
- Ne pas survaloriser ce qui fait référence: se référer uniquement aux standards de la branche peut être vain. Les entraîneurs e-s devraient se sentir encouragés à faire preuve de créativité, quitte à sortir des sentiers battus.
- Apprécier les conditions extrêmes: ne pas voir les difficultés comme des menaces, mais comme des chances d’amélioration.
- Transformer les obstacles importants en atouts: les obstacles peuvent susciter des solutions créatives et être des facteurs de progrès.
- Emprunter des chemins inhabituels: la créativité prend souvent sa source dans les idées et les méthodes non conventionnelles.
- Provoquer l’étincelle: rechercher l’inspiration dans le calme, dans un environnement particulier ou dans les échanges avec autrui.
- Avoir le courage de décider et d’agir: qui n’ose rien n’a rien.
- Partager ses rêves et les réaliser: les projets et les idées se renforcent quand on les partage et les réalise ensemble.
- Loup ou chien, choisir son état d’esprit: définir clairement son attitude. Va-t-on incarner l’indépendance d’action et le courage du loup, ou la vie sociable et protégée du chien?
Tradition ou innovation: recommandations d’action pour les entraîneur-e-s
- Maintenir la tradition sans en être esclave: utiliser ce qui a fait ses preuves, mais en réexaminer régulièrement la pertinence.
- Avoir le courage d’innover: être prêt-e à tester de nouvelles choses malgré les résistances et apprendre des erreurs commises.
- Laisser de la place à la créativité: favoriser une culture dans laquelle les idées originales sont les bienvenues.
- Réseauter: échanger ouvre des perspectives.
- Prendre des décisions en toute conscience: dans chaque situation, peser le pour et le contre avant de choisir entre l’indépendance du loup et l’esprit coopératif du chien.
Entre preuves scientifiques et expérience: maîtriser les opposés
strykerlabs est une entreprise qui propose aux clubs de football des solutions basées sur des analyses de données. Deux de ses représentants, Dominik Eder et Philip Klöckl, ont examiné le champ de tension entre preuves scientifiques et expérience (savoir pratique) dans la gestion de l’entraînement. Ils ont montré comment les deux approches peuvent être conjuguées pour générer des synergies. Le but, selon eux, est de combiner les données qui résultent d’analyses scientifiques avec son expérience d’entraîneur-e pour prendre des décisions qui vont s’avérer optimales dans le processus d’entraînement.
La prise de décision dans la gestion de l’entraînement
Eder et Klöckl soulignent le rôle essentiel des données et des analyses dans le sport de haut niveau contemporain. Ils constatent que les décisions sont prises de plus en plus souvent à partir de données sur la performance et la charge, que l’on collecte et analyse au moyen de capteurs, par exemple. «Ces informations aident à élaborer des plans d’entraînement personnalisés qui tiennent compte à la fois des exigences physiques du sport et des besoins individuels des athlètes.»
Le rôle des preuves scientifiques et celui de l’expérience
Toutefois, Eder et Klöckl rappellent que les données scientifiques ne peuvent pas, à elles seules, apporter toutes les réponses. L’expérience demeure indispensable pour les utiliser à bon escient. Ils préconisent donc une approche conjointe associant méthodes scientifiques et expérience pratique. Les entraîneur-e-s expérimentés sont en effet en mesure d’interpréter les données en temps réel et de les intégrer dans leurs entraînements au vu de la situation.
L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) et de la standardisation
Eder et Klöckl estiment que l’IA recèle un potentiel: en l’utilisant pour automatiser les processus standardisés tels que la collecte et l’analyse des données, les entraîneur-e-s gagnent, selon eux, un temps précieux qu’ils peuvent alors consacrer au travail avec les athlètes et qui leur permet de réagir aux changements en temps réel.
Preuves scientifiques ou expérience: recommandations d’action pour les entraîneur-e-s
- Utiliser les données scientifiques comme base de décision objective: s’appuyer sur les données scientifiques pour gérer l’entraînement et les charges de façon ciblée.
- Intégrer l’expérience comme contexte: ne pas considérer les données de manière isolée, les adapter aux individus et au contexte compte tenu de son expérience.
- Recourir à l’IA pour automatiser les processus standardisés: tirer parti de l’IA pour avoir plus de temps à consacrer au travail à effectuer en personne auprès des athlètes.
- Miser sur l’apprentissage permanent: rester ouvert-e aux progrès de la connaissance et apprendre à utiliser toujours mieux les données.
- Maintenir l’équilibre entre preuves scientifiques et expérience: utiliser les preuves scientifiques comme base et l’expérience, comme filtre. Un usage équilibré des deux renforce aussi bien l’entraînement et la compétition que la confiance et la motivation des athlètes.
Solutions à court terme et vision à long terme: ce qui compte vraiment dans le sport
Le troisième orateur principal, Hansruedi Müller (professeur émérite à l’Université de Berne), a consacré son exposé à la tension entre court terme et long terme dans le sport, en mettant l’accent sur la durabilité des événements sportifs, des fédérations et des carrières.
Hansruedi Müller définit la durabilité comme le processus qui permet d’accroître le niveau et la qualité de vie sans impacter l’environnement, prônant à cet égard la «compatibilité avec les générations futures»: les décisions d’aujourd’hui ne doivent pas être prises au détriment de nos enfants et petits-enfants.
Des carrières sportives durables
Pour Hansruedi Müller, une carrière sportive durable est une carrière qui respecte la santé physique et mentale de l’athlète, qui lui permet d’atteindre la stabilité financière et qui garantit son intégration sociale. Investir dans le «capital sportif» – c’est-à-dire consacrer du temps et des ressources à la réussite sportive – est durablement avantageux, selon Hansruedi Müller: les sportifs et sportives d’élite qui prennent leur retraite réussissent généralement leur reconversion professionnelle, car les compétences et le réseau qu’ils ont développés durant leur carrière leur sont profitables.
Court terme ou long terme: recommandations d’action pour les entraîneur-e-s
- Fixer des objectifs à long terme: les décisions prises doivent ouvrir des perspectives durables.
- Définir des indicateurs mesurables: définir des indicateurs en matière de santé, d’intégration sociale et de stabilité financière.
- Responsabiliser les athlètes: les aider à prendre leurs responsabilités vis-à-vis de l’environnement et pour leur propre bien-être.
- Soutenir la planification de carrière: conjuguer planification sportive et planification de carrière.
- Intégrer des activités sociales: nourrir la motivation à long terme par des activités sociales..
Les mesures à court terme ont cependant aussi toute leur place dans le sport de performance et le sport d’élite. Les discussions menées lors des Journées des entraîneurs 2024 ont fait émerger plusieurs points:
- Accroissement rapide de la performance et de la motivation: les succès à court terme – victoires remportées en compétition ou records personnels, par exemple – renforcent aussitôt la motivation et la confiance des athlètes en leurs capacités. Ces récompenses immédiates agissent à leur tour favorablement sur leur envie de s’engager et de se remettre au travail.
- Visibilité et financement: dans le sport d’élite, les succès à court terme sont souvent décisifs. Ils permettent de trouver plus facilement des sponsors, de capter l’attention des médias et d’obtenir des soutiens financiers. Non seulement les bons résultats réalisés en compétition sont des tremplins pour la carrière sportive, mais ils permettent aussi d’accéder à plus de ressources et à un meilleur encadrement.
- Adaptation et flexibilité: les objectifs à court terme permettent aux entraîneur-e-s et aux athlètes de réagir rapidement aux conditions du moment telles que le niveau de forme de l’adversaire ou l’apparition de nouvelles exigences en compétition. Les succès remportés sur la base d’objectifs à court terme démontrent l’efficacité de l’entraînement et permettent de cibler les adaptations qui sont nécessaires pour réaliser d’autres performances optimales lors des compétitions suivantes.
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Performance athlétique – Planification de l’entraînement: Développer à long terme tout en étant performant à court terme
Chez les jeunes athlètes de la relève du sport de performance, une planification intelligente de l’entraînement doit permettre de développer les aptitudes physiques à long terme sans mettre trop l’accent sur les résultats en compétition. Toutefois, l’augmentation de l’offre de compétitions dans le domaine de la relève exige des athlètes des performances de haut niveau dans leurs jeunes années déjà, sans parler des processus de sélection qui prédominent aussi au sein des fédérations et des clubs. Mais est-il vraiment possible de développer la condition physique des athlètes tout en leur demandant d’être performants à court terme?