En finir avec les «trop grosse, trop maigre, trop lourde, trop légère...»
Pourquoi la communication est-elle importante dans le sport de compétition ? C’est sur cette question que se sont penchés les visiteurs du colloque «Femme et sport d’élite» en juin 2020. L’accent a été mis sur les relations respectueuses entre les athlètes et les entraîneurs.
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Auteurs: Dr. Katharina Albertin, Présidente de la Swiss Association of Sport Psychology et psychologue spécialiste en psychologie du sport FSP et Monika Kurath, responsable du domaine psychologie du sport
Pourquoi un manque de sensibilité et d’égards dans la communication peut-il nuire au succès et même à la santé justement lorsqu’on aborde les thèmes du poids et de la silhouette? Parce que, dans certaines circonstances, les athlètes peuvent perdre confiance en eux et en leur corps en une fraction de seconde, juste à cause d’une communication maladroite.
Quand cela arrive, c’est l’une des principales conditions du succès à court terme qui disparaît d’un coup. À moyen et long termes, cela peut entraîner, dans les cas les plus graves, des troubles psychologiques et physiques, voire des maladies. Il est fréquent que des affirmations marquent des athlètes pour le restant de leur vie ou presque. Pour beaucoup, la balance et le miroir sont les critères dont dépend leur satisfaction personnelle.
Or, pendant leur parcours sportif et par la suite, il faut que les athlètes aiment leur corps: il est leur bien le plus précieux. Le corps et l’esprit se doivent de former une équipe, au sein de laquelle règnent la compréhension et le respect mutuels. La qualité de la communication entre les athlètes et leur entourage peut renforcer «l’esprit d’équipe» entre mental et physique, et contribuer à la fois au succès sportif et à la santé psychique et physique.
Une bonne communication stimule les jeunes sportifs et sportives d’élite
Des travaux de recherche montrent que les jeunes sportifs et sportives d’élite (entre 15 et 25 ans environ) peuvent connaître une évolution positive s’ils ont de bonnes relations avec leurs entraîneurs d’une part et avec leurs parents d’autre part. La communication est une partie essentielle de la relation: c’est elle qui la façonne.
Malheureusement, diverses études montrent que les invitations verbales à perdre du poids (dans le but d’augmenter les performances) sont nombreuses et qu’on les adresse aux athlètes sans réfléchir. Souvent, ces demandes sont formulées de façon blessante. Or, des remarques isolées peuvent parfois avoir un effet boule de neige et inciter les athlètes à perdre du poids, soi-disant pour se protéger («je ne veux plus jamais subir ces vexations, donc je vais perdre du poids et rester mince pour toujours»). Les athlètes commencent alors à s’entraîner davantage, modifient leurs habitudes alimentaires, développent un rapport souvent négatif ou hostile envers leur propre corps et, dans certains cas, tombent dans un comportement alimentaire trop contrôlé, qui peut, à moyen et long termes, nuire à leurs performances et à leur santé
Une communication irréfléchie peut miner la confiance en soi
Pourquoi une seule formulation un peu maladroite peut-elle avoir de conséquences aussi graves? La théorie du concept de soi global et physique répond à cette question.
Le concept de soi réunit les connaissances qu’une personne a d’elle-même, de ses forces et de ses faiblesses. L’évaluation subjective et personnelle de ces domaines crée ce qu’en psychologie, nous appelons l’estime de soi. La science montre qu’il existe différents concepts de soi partiels qui, ensemble, déterminent l’estime de soi. En font partie:
- le concept de soi académique (scolaire), qui désigne les forces et faiblesses dans différentes branches scolaires;
- le concept de soi social, c’est-à-dire les forces et les faiblesses dans les rapports avec autrui;
- le concept de soi émotionnel, qui correspond aux forces et aux faiblesses dans le domaine émotionnel;
- le concept de soi physique, qui désigne les forces et les faiblesses dans les domaines de la force, de l’endurance, de la mobilité, de la silhouette et du poids, ou encore de l’attrait physique en général.
Durant l’enfance et l’adolescence, le concept de soi physique et l’estime de soi physique qui en découle sont naturellement très importants; ils influencent le concept de soi en général et donc l’estime de soi globale1, 9. C’est encore plus vrai dans le sport d’élite. Si la silhouette et le poids font l’objet de critiques inconsidérées (et sont pointés du doigt comme des faiblesses) et que, parallèlement, les autres aptitudes manquent de reconnaissance, l’estime de soi globale de l’athlète féminine s’en ressent immédiatement et peut souvent être anéantie. L’athlète peut éprouver des sentiments de culpabilité et de honte qui sapent son estime d’elle-même et sa confiance en elle.
Il s’agit là d’une dynamique dangereuse, à laquelle il faut impérativement couper court. Pour ce faire, il faut prendre conscience de ce type de cercles vicieux, qui sont aussi liés à la société. En effet, les athlètes féminines subissent la pression due à deux idéaux ancrés dans la société: celui du corps féminin parfait tel que dicté par la société et celui du corps parfait du point de vue sportif. Cette pression peut engendrer des angoisses et pousser la jeune femme à avoir un rapport presque hostile avec son propre corps, à vouloir le contrôler en permanence, à évaluer sa silhouette de façon quotidienne et à craindre le regard et l’avis des autres sur son physique.
Quelles sont les solutions?
l est dans tous les cas essentiel d’évaluer de manière critique sa propre façon de communiquer et d’essayer de s’améliorer. Deux types de solutions sont présentées ci-après: d’une part, il faut prendre en compte les différents «moi» (en référence au concept de soi décrit précédemment, voir ill. 1) de l’athlète. En tant que sportive et que personne, elle possède différentes facettes avec des besoins différents.
Accorder un intérêt égal à toutes les facettes et reconnaître leurs points forts permet de renforcer la personnalité de l’athlète et l’aide à mieux appréhender les faiblesses sur lesquelles elle doit travailler. Le poids et la silhouette ne deviennent alors que deux critères parmi d’autres et leur appréciation risque moins de nuire à l’estime de soi – à condition évidemment d’aborder ces sujets avec délicatesse et respect. En tant qu’entraîneur, comment vous assurer que vous communiquez avec votre athlète de façon saine? C’est ici qu’entre en jeu la deuxième solution: l’orientation vers les besoins psychologiques fondamentaux3, à savoir:
- a) l’autonomie,
- b) la compétence et
- c) l’appartenance sociale, indépendante de la performance.
Dans la pratique, cela peut se traduire comme suit:
- Favoriser l’autonomie: les athlètes peuvent prendre part aux décisions, jouissent d’un certain degré de liberté et ont des options à choisir dans le processus d’entraînement et d’évolution, ce qui développe leur capacité d’autodétermination. Cette démarche influence directement la communication, puisque l’autonomie doit être présente dans les discussions et que le dialogue doit l’encourager.
- Promouvoir les compétences: apprécier à leur juste valeur les performances et les comportements positifs. Des feed-back positifs doivent venir compléter les critiques. Les résultats ne sont pas le seul élément qui compte: les autres améliorations en termes d’action et de performance sont aussi commentées et valorisées. Les discussions abordent les points forts ET les points faibles. Si une prise ou une perte de poids est nécessaire, ce n’est qu’un aspect parmi d’autres. Il est essentiel de faire en sorte que l’athlète entende quels sont ses atouts sportifs, ce qu’elle parvient déjà à réaliser et ce qu’elle peut optimiser – le poids étant alors mis sur un même pied que d’autres aspects techniques.
- Favoriser un sentiment d’appartenance inconditionnel: chaque athlète fait partie d’un groupe et doit en tout temps bénéficier du respect et des égards dus à tout être humain, quels que soient ses performances sportives du moment, ses résultats, son poids ou son apparence. Lorsqu’un entraîneur doit, entre autres, aborder la question du poids, il est primordial d’exprimer de l’estime et du respect pour la personnalité de l’athlète, dans ses mots et dans le climat de la discussion.
Solutions pratiques
- Fédérations/clubs/organisations: faire une mise au point sur le sujet (si nécessaire, remettre en question la culture du sport actuelle et la redéfinir); l’initiative peut venir de toutes les parties prenantes.
- Dans les disciplines sportives et les cas où le poids joue un rôle important, ne pas se contenter d’en parler et de travailler avec l’athlète, mais impliquer aussi son entourage (parents, différents entraîneurs, assistants et staff).
- Lever les tabous sur ce thème et le normaliser; parler concrètement du poids/de la silhouette dans le cadre de l’analyse et de la définition des objectifs comme l’un des éléments de la performance sportive (au même titre que la condition physique ou les éléments techniques); au besoin, recourir à un encadrement professionnel.
Si ses besoins psychologiques fondamentaux sont satisfaits, l’athlète aura un sentiment de sécurité et de reconnaissance d’elle-même en tant que personne et osera se fixer des objectifs exigeants. Elle pourra alors développer une certaine force personnelle ou une robustesse mentale qui l’aidera, à son tour, à trouver comment gérer sainement les erreurs, les défaites et les critiques. Le dialogue et l’attitude adoptée dans la collaboration devraient toujours tenir compte de la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux.
Conclusions
- Les commentaires concernant la silhouette et le poids peuvent être vexants et avoir des conséquences psychologiques à long terme.
- Les critiques portant sur le corps peuvent entraîner une perte brutale de l’estime de soi, ce qui est contre-productif.
- La communication peut satisfaire les besoins psychologiques fondamentaux, profitez-en!
- Comme toute personne, une athlète a différents «moi»: n’en négligez aucun!
- Définissez, pour vous-même, comment vous vous situez par rapport aux thèmes de la silhouette et du poids.
- Préparez les entretiens délicats.
Bibliographie
- Asendorpf J.B., Teubel T. (2009). Motorische Entwicklung vom frühen Kindes- bis zum frühen Erwachsenenalter im Kontext der Persönlichkeitsentwicklung. Zeitschrift für Sportpsychologie; 16:2–16.
- Bradatsch, A.-M., 2015. Das Körperbild von deutschen olympischen Nachwuchsleistungssportlerinnen. Inaugural-Dissertation zur Erlangung des Doktorgrades der Medizin der Medizinischen Fakultät der Eberhard Karls Universität zu Tübingen.
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- Lo, B. P., Hebert, C., & McClean, A. (2003). The female athlete triad: No pain, no gain? Clinical Pediatrics, 42, 573-580.
- Muscat, Anne C. and Long, Bonita C. (2008). Critical Comments About Body Shape and Weight: Disordered Eating of Female Athletes and Sport Participants’, Journal of Applied Sport Psychology, 20:1, 1 – 24 To link to this article: DOI: 10.1080/10413200701784833 URL: http://dx.doi.org/10.1080/10413200701784833
- Stephens, L. E., (2019). There’s Stuff Beyond Sport: A Study of the Realities and Perceptions of Student-Athlete Body Image Concerns, Drive for Muscularity, and Eating Behaviors . All Dissertations. 2354. https://tigerprints.clemson.edu/all_dissertations/2354
- Stiller, J., Würth, S. & Alfermann, D. (2004). Die Messung des physischen Selbstkonzepts (PSK). Zur Entwicklung der PSK-Skalen für Kinder, Jugendliche und junge Erwachsene. Zeitschrift für Differentielle und Diagnostische Psychologie, 25, 239 – 257. https://doi.org/10.1024/0170-1789.25.4.239.
Pour aller plus loin sur le thème «Femme et sport d’élite»
- Article «femme et sport d’élite» de la Formation des Entraîneurs Suisse
- Colloque interdisciplinaire «Femme et sport d’élite» de Swiss Olympic
Un grand merci à Dr Katharina Albertin, Présidente de la Swiss Association of Sport Psychology, psychologue spécialiste en psychologie du sport FSP et psychothérapeute reconnue au niveau fédéral pour sa contribution.